Chapitre 19 : Le Pont des Âmes

Ils avaient franchi les Portes.

Derrière eux, le monde se refermait lentement, avalé par les Brumes comme un souvenir englouti. Devant eux s’étendait un chemin que nul mortel n’avait foulé depuis l’effondrement du Pacte originel : le Pont des Âmes.

Il n’était ni pierre ni bois. Il était fait de lumière tissée, de souvenirs incarnés. Chaque pas résonnait comme un battement de cœur dans l’éternité, et sous leurs pieds, le vide n’était pas noir, mais empli d’images fugaces — visages oubliés, batailles anciennes, serments chuchotés dans des langues perdues.

Fyrael marchait en tête, les traits tendus. Il sentait le poids du fragment pulser contre sa poitrine, de plus en plus fort. La lame à sa ceinture vibrait d'une fréquence étrange, presque douloureuse.

Derrière lui, les porteurs suivaient, silencieux. Aucun n'osait parler. Car ici, même le murmure d’une pensée pouvait réveiller un souvenir… ou un cauchemar.

À mi-parcours, le pont s’élargit en une vaste plateforme flottante, circulaire, cernée par des arcs de brume luminescente. Là, se dressait une silhouette.

Sélénéa.

Ou plutôt... une version d’elle.

Son corps était translucide, comme sculpté dans du cristal de mémoire. Ses yeux étaient calmes, mais profonds comme l'abîme du ciel nocturne.

— « Ce n’est pas moi, » dit-elle doucement, devinant leur trouble. « Je suis son écho, gardienne du passage. »

Fyrael s’avança. Sa voix était rauque.

— « Où est-elle ? »

— « Entre les battements du monde. Là où la dette du Secret attend d’être reconnue. »

Autour d’eux, les arches s’illuminèrent. Douze symboles y apparurent, chacun représentant un royaume ancien.

— « Vous devez faire choix. »
— « Un seul d’entre vous traversera jusqu’à l’Autel Final. Les autres... resteront pour sceller le pont. »

Le silence fut coupant.

Une onde de peur, puis de résignation, traversa les porteurs.

Un par un, ils posèrent la main sur leur fragment, puis sur le sol du pont.

Le géant tatoué fut le premier. Puis la femme aux cheveux blancs. Puis l’enfant, sans un mot. Chacun, en se liant au pont, en devenait pierre, mémoire et lumière.

Ils ne mouraient pas.
Ils devenaient le lien.

Enfin, Fyrael leva les yeux vers l’écho de Sélénéa.

— « Et moi ? »

— « Tu portes la volonté de l’Accord. Va. »

Le chemin se reforma, étroit et flamboyant.
Au loin, une immense structure flottait dans le vide : l’Autel Final, forgé dans l’ivoire d’étoiles mortes, battant comme un cœur ancien.

Fyrael prit une dernière inspiration.

Puis il marcha, seul, vers le destin de Velorn.