Chapitre 15 : Le Tribunal Sans Visage

Le silence régnait, aussi dense que la pierre noire des trônes qui encerclaient l’autel. Les douze Juges venaient de prendre forme, leurs visages cachés sous des masques lisses et impassibles. Aucun œil, aucune bouche, aucune expression — et pourtant, leur présence imposait le respect, voire la peur.

Sélénéa resta droite. Son cœur battait si fort qu’elle crut qu’ils pouvaient l’entendre.

— « Vous avez réveillé la dette, » dit l’un des Juges, sans bouger. La voix n’avait ni genre ni âge, elle semblait naître dans l’esprit plus que dans l’air.

— « Le Pacte a été violé, » ajouta un autre. « L’équilibre a basculé. Zëfar a puisé au-delà des Voiles. »

Fyrael grogna, le regard sombre.

— « Et vous, où étiez-vous lorsque le chaos est né ? »

Un murmure traversa le cercle, semblable au vent dans un caveau.

— « Nous étions liés par la Clôture de Veylnor. Rompre notre veille, c'était briser la dernière barrière. Mais maintenant… vous avez franchi le seuil. »

Neryda se releva difficilement.

— « Ils ne veulent pas seulement juger… Ils exigent réparation. »

— « Une vie, ou une mémoire, » déclara un troisième Juge.

Sélénéa s’avança d’un pas. Son regard se posa sur la larme suspendue, toujours brillante au-dessus de l’autel.

— « Alors prenez ce que vous devez. Mais laissez-moi aller au bout de la vérité. »

La larme descendit lentement. En s’approchant, sa lumière révéla sur les murs des fresques animées : la création du Pacte Primordial, les visages des anciens tisseurs, l’ascension de Zëfar... et un enfant, au cœur de tout, aux yeux semblables aux siens.

— « C’est toi, » murmura Neryda. « Tu es née du serment. Tu es la dette et l’issue. »

Sélénéa posa sa main sur la larme. Un flot de souvenirs l’envahit. Elle vit les royaumes unis, les grenouilles de MarOgène défendre les rivières de sang, les Magecœurs créer des ponts d’âmes, les Arquebufleurs trahir pour une promesse brisée…

Puis, le Tribunal parla d’une seule voix :

« L’équilibre peut être restauré. Mais il faut qu’un porteur accepte de devenir l’Ancre. Et de tout oublier. »

Le silence tomba de nouveau. Fyrael se tourna vers elle, le regard déchiré.

— « Tu n’es pas seule. S’il le faut… je deviendrai l’oubli. »

Mais Sélénéa, les larmes aux yeux, se contenta de dire :

— « Non, pas toi. Tu es le souvenir. Moi, je suis la faille. »

Alors elle prononça les mots du Premier Serment. Et la larme se brisa.