Chapitre 15 – Les Langues de la Flamme

Le monde avait changé.

Quand Li-Mei posa la main sur la sphère, la réalité sembla se dissoudre comme du verre chauffé à blanc. Il n’y eut ni explosion, ni lumière aveuglante. Seulement un souffle. Une onde silencieuse qui se répandit dans l’air, dans la pierre, dans la chair.

Gabriel se retrouva à genoux, le souffle court, les yeux noyés dans des reflets changeants. Autour de lui, le gouffre avait disparu. Ou plutôt, il avait été absorbé. Ils étaient toujours dans l’amphithéâtre noir… mais celui-ci flottait maintenant dans une mer d’ombres et de lueurs incandescentes. Au-dessus, des étoiles qu’il ne reconnaissait pas formaient des constellations mouvantes.

La sphère n’était plus. À sa place, un brasier suspendu dans les airs, vibrant de mille langues de feu.

Et au centre du brasier… se tenait Li-Mei.

Son corps semblait intact, mais son regard avait changé. Ses pupilles, autrefois sombres, luisaient désormais comme des braises. Sa voix, lorsqu’elle parla, n’était plus tout à fait la sienne.

— Je suis la Gardienne du Souffle. La Voix de ce qui brûle sans fin. Le Pacte oublié renaît à travers moi.

Gabriel fit un pas vers elle, mais une chaleur invisible l'arrêta net.

Théo, resté en retrait, l’observait sans dire un mot. Il avait vu ce genre de fusion dans les archives interdites de l’Ordre des Cendres Hautes. Cela ne se produisait qu’une fois par ère. Et cela coûtait plus que l’âme.

— « Elle ne survivra pas », murmura-t-il.

Mais Li-Mei — ou ce qu’elle était devenue — se tourna vers lui. Son regard transperça le mensonge comme un poignard.

— Tu savais. Depuis le début. Et pourtant tu es venu. Cela aussi est une vérité.

Une onde de chaleur se propagea dans la pièce, et les glyphes sur les murs s’animèrent. Les symboles anciens s’élevèrent lentement dans les airs, formant un cercle autour du feu central.

Gabriel sentit alors une brûlure dans sa poitrine. Le fragment du Miroir de Veyrune, qu’il portait toujours, vibrait comme jamais. Il fut attiré malgré lui vers la flamme. Lorsqu’il tendit la main, un filet de feu s’enroula autour de son bras, sans le brûler.

Et il vit.

Des visions, par milliers. Passé. Futur. Possibles. Impossibles.

Des trônes brisés, des dragons enchaînés, des royaumes tombant sous des drapeaux inconnus. Il vit son propre visage, plus vieux, couvert de cicatrices, portant une couronne de fer. Il vit Théo au centre d’un conseil secret, des runes interdites tatouées sur son torse. Il vit Li-Mei, seule sur une mer de cendres, tenant dans ses mains une clé de lumière.

Mais surtout, il vit le cœur de la guerre à venir.

Les fragments n’étaient pas des armes. C’étaient des verrous. Chacun enfermait une portion d’un savoir interdit, scellé depuis l’époque des dragons originels. Un savoir capable de réécrire les lois de la magie, du pouvoir… et de la mort.

Et l’Ordre des Cendres Hautes voulait le combiner.

Reformuler l’histoire elle-même.

Lorsque Gabriel sortit de la vision, il chancela. Li-Mei s’effondra à genoux. Sa peau fumait, ses lèvres saignaient. Mais elle respirait encore.

— « Je l’ai vu », murmura-t-elle. « L’endroit du dernier fragment. Là où tout a commencé. »

Elle tendit la main vers une paroi. Des symboles s’y gravèrent d’eux-mêmes.

Un nom oublié.

Aeralis. La cité perdue, tombée avant même l’écriture de la première carte.

Théo détourna le regard. Il connaissait ce nom. Il en avait entendu parler dans un rapport classé, une note effacée à l’encre noire. Ce n’était pas un lieu. C’était une tombe.

Et c’était là qu’ils devaient aller.