Chapitre 12 : Les Mémoires d’Aeloria

Le contact de la pierre fut un choc.
Pas une douleur… plutôt un glissement. Comme si l’esprit de Sélénéa tombait à l’intérieur de sa propre mémoire, mais dans une version d’elle-même qu’elle ne reconnaissait pas encore.

Un éclat de lumière.
Une brume dorée.
Et un nom oublié surgit dans son esprit comme une épée tirée d’un fourreau ancien.

Aeloria.

Elle était debout sur une falaise, surplombant un monde que Velorn avait presque oublié. Des tours de jade flottaient au-dessus des mers de nuages, reliées par des ponts de lumière pure. En contrebas, des dragons d’opale planaient en silence, montés par des Éthériens aux yeux d’argent.

— « Ceci est le monde avant la Déchirure, » murmura une voix derrière elle.

Sélénéa se retourna. C’était toujours Neryda, mais plus jeune, plus vive… ou peut-être une autre Voix avant elle.

— « Tu es Aeloria, autrefois gardienne du Pacte Originel. Tu n’étais pas seule. Treize vous étiez… et treize fragments de volonté furent liés au Grand Accord. »

Sélénéa/Aeloria observa ses propres mains : elles luisaient d’un entrelacs d’énergies anciennes, des veines de lumière violette et dorée courant sous sa peau.

— « Pourquoi m’avoir effacé cette vie ? Pourquoi ne m’en suis-je pas souvenue plus tôt ? »

— « Parce que le Secret… n’était pas prêt à être déterré. Et toi non plus. »

La scène changea brutalement.

Elle était désormais dans une salle circulaire, presque identique à celle de Silvaronne, mais intacte. Les treize figures étaient là, chacune avec un éclat cristallin au front, récitant en chœur une invocation d’un autre âge.

Une autre silhouette se leva à l’extérieur du cercle. Zëfar. Pas encore le traître… mais déjà trop curieux, trop brillant, trop affamé.

— « L’équilibre est une prison ! » criait-il. « Libérez le potentiel. Brisez les cycles. Créez le réel à l’image de votre volonté ! »

Et il l’avait fait.
Le cercle fut rompu. La lumière se transforma en feu. Le feu en vide. Les tours tombèrent.
Le monde saigna. Velorn saigna.

—

Sélénéa s’éveilla en hurlant.
Son front était brûlant, et la marque des Tisseuses brillait à nouveau sur sa peau.

Fyrael l’avait attrapée avant qu’elle ne chute.

— « Tu es restée immobile presque une heure… mais ton corps irradiait comme une étoile noire. »

Elle leva les yeux, la voix encore tremblante.

— « Je me souviens. Je me souviens de tout. »

Neryda se tenait là, plus pâle qu’auparavant.

— « Alors tu sais ce que cela implique. Si tu ranimes le Pacte… tu réactives aussi l’éveil de l’Ancien Tribunal. Ils sont endormis, mais pas morts. »

Fyrael fronça les sourcils.

— « Le Tribunal ? »

— « Ceux qui jugeaient les pactes. Ceux que même les rois craignaient. Ils dorment sous les racines de Velorn, dans les cryptes de Veylnor. Et s’ils se réveillent… ils réclameront un prix. »

Sélénéa fixa la pierre centrale de la salle, qui pulsait encore.

— « Qu’ils viennent. Je ne fuirai plus mon passé. »

Neryda tendit une dague cérémonielle à lame courbe.

— « Alors prépare-toi. Car pour restaurer l’Accord… il faudra une offrande de sang ancien. »

Fyrael s’interposa.

— « Non. Elle ne fera pas cela seule. Je suis lié à elle. À son destin. »

Neryda sourit, triste.

— « L’Accord réclame deux volontés… mais un seul sacrifice. »

—

Ce soir-là, sous la voûte d’un ciel tourmenté, les flammes furent rallumées dans les autels de Silvaronne. Et le pacte, longtemps oublié, commença lentement à s’éveiller. Mais dans les tréfonds de Velorn, quelque chose ouvrit un œil.

Et le sommeil du monde fut brisé.